jeudi 19 janvier 2012

Des mots, une histoire : nouvel exercice d'écriture


Les mots imposés pour Des mots, une histoire 52 sont : carnaval – rustique – maîtresse – avant – pyramide – pléiade – nostalgie – dromadaire – pintade – tisane – festoyer – caravane – virus – statue – menteur – désert – propolis – pins – rallye – oasis – felouque – ministre – moucharabieh – divinité – découverte.

Il était exténué, mais sauvé. Sa bouche avait été si sèche que sa salive mettait longtemps avant de se reformer, malgré les grandes lampées qu’on lui avait fait boire à l’outre en peau. Heureusement que cette caravane l’avait croisé et avait eu l’intelligence de s’approcher, détournant quelque peu sa route. Il était quasiment inconscient quand ils l’avaient recueilli et hissé sur l’un des dromadaires. Ou étaient-ce des chameaux ? Il était trop faible pour y réfléchir. Un des Touaregs avait soigné ses blessures à l’aide de propolis dont il gardait précieusement le petit flacon dans une poche dissimulée dans les pans de sa robe. Il savait que le désert était hostile et meurtrier, mais jamais il n’aurait cru passer si près de la mort. Et pourtant, il était heureux.
Il n’avait plus pu supporter un seul instant ce voyage si touristique, si ridicule, si cliché. On ne va pas en Egypte pour voyager sur de somptueuses felouques tandis que sur la rive, de pauvres ères vous regardent, désabusés, les yeux ronds et enfoncés dans leurs orbites, le visage émacié, des lambeaux de vêtements couvrant à peine leur intimité et leur maigreur. Lorsqu’ils avaient visité les pyramides, ça avait été presque pire. De riches marchants écartaient les mendiants d’un coup de pied, en vociférant sans doute des atrocités tandis qu’ils vous souriaient avec toute l’hypocrisie dont ils étaient capables, vous tendant leurs statues et marchandises variées, leurs doigts lourds de bagues et leurs vêtements semblant faits de la plus belle étoffe. Les pauvres n’avaient aucune chance. Leur propre guide chassait également ces pauvres créatures qui ne demandaient que le droit de survivre, ce qui l’avait profondément blessé mais n’avait semblé gêné personne d’autre.
Où donc était la splendeur de cette Egypte ancienne qui l’avait tant fasciné lorsqu’il était enfant ? Il se souvenait que sa mère lui racontait les histoire de cette religion qui puisait ses racines dans des croyances plus anciennes encore, et que lui trouvait ça si magique.  
Au cinquième jour, il se trouvait dans sa chambre d’hôtel, protégé de la chaleur par le moucharabiech dont les entrelacs rappelaient un peu certaines constructions andalouses datant d’Avéroès, ce philosophe si inspirant pour lui. Il avait soudain ressenti une nostalgie profonde pour le rustique, l’authentique, le vrai, dont sa maitresse de CE2 lui avait montré les vestiges. Il ne voulait plus sortir de sa chambre, il était trop accablé par la dure réalité de ces menteurs qui se voulaient ministres d’une culture ancestrale qu’ils ne connaissaient plus que pour l’exploiter.
Alors il avait feint l’intérêt et s’était enfui dans le désert, profitant d’une sortie touristique de rallye en quad. Il avait pris des provisions, une carte et une boussole, un grand chech pour le protéger, ainsi que son exemplaire de L’Alchimiste, qui ne le quittait plus depuis si longtemps. Il  avait espéré atteindre seul cette oasis, véritable cité du désert, qui ne semblait pas si loin. Evidemment il s’était perdu, avait beaucoup souffert, sa peau s’était complètement desséchée, craquelée, ses lèvres fissurées, ses yeux étaient perpétuellement aveuglés par l’immensité sableuse. Dans le triste carnaval de la vie, il était maintenant réduit à l’état de ces mendiants indésirables. Il aurait pu mourir maintes fois, du virus qu’il semblait avoir contracté, des nuits qui étaient si froides dans le désert, des journées caniculaires, auxquelles son corps n’avait jamais été si exposé. La faim l’avait vite tenaillé, la soif avait pointé son nez plus vite que prévu. Et pourtant, il était vivant. Quelle était cette divinité qui l’avait protégé et maintenu en vie ? Il avait déliré, imaginé des points d’eau ombragés de pins, de la pintade toute prête devant lui, des voitures venant à sa rencontre. Le danger des mirages avait presque réussi à l’engloutir dans la folie.
Ce soir, après plusieurs heures de marche, la caravane s’arrêta pour que les hommes puissent se reposer. On ne festoya pas, bien qu’apparemment, ces voyageurs fussent près de leur but, car on ne sait jamais quelle découverte on peut faire dans le désert, qu’est-ce qui peut attendre un tel convoit derrière la prochaine dune. On lui tendit une tisane ainsi que des fruits secs : des dattes et des amandes. Il devrait se contenter de cela pour le moment, le temps de réhabituer son corps à ingérer des aliments. Il était si faible, et si bien sous la pléïade d’étoiles, parmi ces inconnus, qui ne l’étaient plus vraiment. Il avait trouvé la sensation de bien-être qu’il avait toujours cru ressentir en venant en Egypte : jamais il ne s’était imaginé qu’il la trouverait parmi des Touaregs si loin de tout ce qu’il connaissait. Avant.
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20 commentaires:

  1. D'un voyage catastrophique on passe à une belle découvertre humaine.

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    1. Je pense que la vie est un peu comme ça, il "suffit" de vouloir qu'elle devienne belle : si on s'y ouvre, alors tout est possible.

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  2. Pour un peu je suis transportée au pays d'Ali Baba, l'illusion est parfaite, et oui la vie est belle parfois!!

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    1. Merci Douchka! J'avoue que ça m'a transportée dans des régions chaudes et sableuses, pays des serpents et des contes, de la magie et des bonnes odeurs...Et oui, je confirme, la vie peut-être très belle!

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  3. Superbe! Ainsi par les Zaratoustras :-P

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    1. Ainsi parlait-il? Je ne l'ai pas lu... En tout cas, merci :-)

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  4. Comment retrouver quelques belles valeurs dans une vie...

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    1. En restant aligné avec ses valeurs, toujours en lien avec ses sensations...peut-être?

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  5. Un récit de cauchemar qui finit comme un rêve.. bravo!

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  6. Voici un récit dépaysant à souhait et bien dans le thème... J'ai senti le sable porté par le vent chaud et humé le thé à la menthe. Vraiment une belle épopée !

    Coincoins épiques

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  7. Une vision réaliste du tourisme de masse, qui nous interroge sur les rapports humains. :D En plus, c'est une expédition très bien rendue. :D

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  8. Il y aura maintenant un avant et un après dans la vie de cette personne :-) passer près de la mort change toute la vision de la vie :-)

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  9. Ah! le danger des mirages... La beauté n'est pas toujours là où on l'attend.

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  10. Je refuse toutes les destinations des vacances de masse ; j’ai l’impression d’avoir entre mes mains mon passeport pour le zoo. Je préfère les voyages à pied, départ de la maison vers un ailleurs, au rythme de mes pas.
    Bon texte, belle analyse !

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  11. Une belle prise de conscience bien rendue.

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  12. Tu nous fais voyager ! Intriguant cet homme... Je l'imagine errer dans le désert sur un fond de musique mélancolique, complètement perdu, inconnu de lui-même...

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