samedi 16 août 2014

Impromptu

Les terrasses étaient bondées ce jeudi-soir là. Il faisait doux et on ressentait parfois des bourrasques d'air chaud, rappelant la journée estivale qui se terminait. Rires, verres qui s'entrechoquaient, discussions animées : l'ambiance était aux vacances, à l'insouciance, à la joie. 
Après avoir badiné avec le serveur, je sirotais un verre en discutant avec l'ami que j'avais rejoint. Nous parlions de voyages, de découvertes, de passions. Nous nous évadions dans les mots, les souvenirs, les rêves. Deuxième verre. J'aime la légèreté qu'apporte l'été. La discussion s'animait, passionnante, et rien n'aurait pu nous arrêter que cette lente complainte qui s'echappa soudain de l'accordeon d'un musicien des rues. Un tango. Je rougissait de plaisir et le vin me montait aux joues. "Tu sais, je serais capable, là, maintenant, de danser. Après tout, on ne sait pas quand on redansera ensemble, puisque tu pars vivre à l'etranger dans quelques jours" dis-je, joueuse, taquine. Une gorgée de vin, et je le vois se lever, un sourire aux lèvres. "Allons-y". Je m'illumine, je n'ecoute pas la peur qui essaye de paralyser mes jambes. Il doit y avoir des centaines de gens attablés dans cette rue piétonne. Je confie mon sac à main à de parfaits inconnus, et je vole presque jusqu'à ses bras. Nous sommes au milieu de la rue, face à l'accordeonniste. Je l'imagine surpris et souriant. Je ferme les yeux, je prends une grande inspiration, et mon ami m'entraine sur la musique. En une seconde, je suis ailleurs, transportée dans le temps et l'espace. J'ai l'impression que mes pieds touchent à peine le sol, seul compte cet embrasement dans ma poitrine, cette joie pure de danser. Je ne pense même pas à tous ces gens qui doivent nous regarder. Je suis en sandales, sans doute je vais glisser. Mais peu importe. Seul compte cet instant suspendu, cet accordéon qui guide nos pas, ce danseur qui me fait virevolter avec tant de douceur et de précision. Je ne pense plus à rien. Cela n'etait pas arrivé depuis longtemps. Je m'apaise, tout mon corps respire. Je me souviens alors de la magie du tango, cette magie que je croyais perdue depuis quelques temps. Cette magie qui nous permet d'être dans l'instant, d'effacer tout le reste. Il n'y a pas d'avant ni d'après, juste un maintenant. Ces quelques minutes valent toutes les souffrances, les humiliations, les doutes, la douleur qu'engendre le tango. 
La musique se tait, je vacille presque. On nous applaudit, merci, merci. Nous retournons nous asseoir en pouffant, notre conversation reprend, en même temps que des dizaines d'autres. L'instant est passé, fugace, puissant, inoubliable. 

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