mercredi 12 mars 2014

Venir de partout

J’étais l’autre soir à une milonga (bal de tango), ma première depuis Buenos Aires, ma première ici dans cette nouvelle ville. On me demandait d’où je venais. C’est une question simple, mais je me suis plusieurs fois retrouvée sotte et bredouille. Dire « Paris » serait réduire considérablement la chose, même si c’est un fait. J’ai plutôt cette étonnante sensation de venir de tous les endroits par lesquels je suis passée ces derniers temps. Lorsque je croise un indien, j’ai l’impression de retrouver un frère, si j’entends de l’espagnol, je suis transportée à Barcelone, à Buenos Aires. On se construit de toutes nos expériences, qui permettent d’explorer notre formidable capacité d’adaptation, de transformation, d’épanouissement de notre être. Chaque voyage, chaque rencontre, permet de développer une facette toujours différente, qui nous étoffe un peu plus chaque fois. C’est troublant. M’auriez-vous vu il y a deux semaines travailler à Florence, jamais vous n’auriez deviné que j’ai pu voyager dans la poussière indienne pendant un an, dans des conditions parfois plus que douteuses. Ce n’est pas non plus la même image que vous auriez de moi si je vous racontais les après-midi argentines à lézarder sous un rayon de soleil, à la terrasse d’un café, à écrire pendant des heures.

Ce sont comme des vies parallèles qui attendent chacune leur heure pour s’exprimer, s’épanouir. Et je me sens chez moi partout. Buenos Aires, Auroville, Barcelone, ce sont mes maisons. J’y retourne parfois en pensées, au détour d’une rue je m’y sens presque. C’est douloureux d’en être loin, mais en même temps quelle joie de savoir que ces lieux que j’aime tant existent et sont à ma portée…
Un ami me disait, avant mon départ en Argentine, que même là-bas je me sentirais un peu chez moi grâce au tango : les musiques sont les mêmes partout dans le monde, c’est comme retrouver un vieil ami, c’est doux et rassurant. Lorsque je suis entrée dans cette milonga l’autre jour, dès la première musique, j’ai été projetée des semaines, des mois en arrières. Des scènes me sont revenues, des visages, des sourires. Et j’ai eu confiance pour danser, forte de tous ces instants joyeux et intenses passés sur ces mêmes morceaux. 
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mercredi 5 mars 2014

Le manque


Il nous prend par surprise, lorsque l'on s’y attend le moins. Une baisse d’énergie, un découragement, de la fatigue. On pense à quelque chose d’anodin, et le manque nous frappe au visage. C’est un coup dans l’estomac, on a le souffle coupé, les larmes qui ne peuvent s’empêcher de couler. On se croyait fort, intouchable, on savait qu’on aller se reconstruire, avancer la tête haute. On s’en persuadait, on était fiers, on minimisait tous les sentiments qu’on pouvait avoir. On les reléguait loin. Mais on s’effondre à la moindre occasion. Un être nous manque alors qu’on se croyait au-dessus de cela, et notre fragile équilibre vole en éclats. Pour moi, c’était aujourd’hui devant une caissière exténuée qui n’en pouvait plus de sa journée et qui devrait encore supporter les bip-bip de sa caisse pendant plusieurs heures.

J’ai quitté Buenos Aires chamboulée, incapable de me rendre compte de ce qu’il m’arrivait. Une heure à peine avant l’arrivée de mon taxi pour l’aéroport, je prenais tranquillement mon petit-déjeuner dans mon salon de thé habituel, inconsciente. J’ai essayé de me focaliser sur mon départ pour un voyage professionnel à Florence moins de deux jours après mon arrivée à Paris. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir à ces deux mois que je venais de vivre, qui ont été un flot continu d’émotions, de rencontres, de découvertes. Je suis rentrée après cinq jours en Toscane, j’ai débarqué à Toulouse, cherché un appartement, me suis installée. J’ai encore une fois été à mille à l’heure, sans me reposer vraiment, ni le corps ni l’esprit. Aujourd’hui j’ai pris conscience que j’étais rentrée, que ma vie serait ici désormais, du moins pour les six prochains mois, et les milliers de kilomètres qui me séparent de l’Argentine et de gens que j’aime se sont faits sentir. Ca a été une gifle. Je me suis effondrée. Le souvenir d’un regard, l’écho d’un rire qui résonne dans mon oreille mais qui s’efface et bientôt tombera dans les méandres du souvenir, la sensation d’une caresse, la chaleur d’une embrassade, la présence réconfortante d’amis. Certains êtres ont laissé sur moi une trace indélébile. Tout semble se perdre déjà pour laisser place au neuf. Je ne veux pas de ce neuf, je veux garder cette chaleur confortable que j’ai connue, je veux poursuivre ce qui a été commencé. Mais je ne peux m’en saisir, cela s’étire, s’éloigne de moi. Je ne veux pas oublier, et je crois aussi que je ne veux pas qu’on m’oublie. Je repense à des moments doux, des conversations passionnantes, de la complicité. Je me repasse en boucle toutes ces choses que j’aurais voulu dire et que j’ai préféré garder. Toutes ces journées remplies de vie. J’essaye de ne pas avoir le regret de certaines choses, mais aujourd’hui cela m’a fouetté le visage avec une violence que je n’aurais jamais imaginée. Le manque. Le manque des êtres qu’on aime, le manque de ce qu’on a vécu, le manque des lieux, le manque de soi au passé, la crainte de ne plus jamais être heureux ou épanoui comme on a pu l’être. Pourtant, Buenos Aires ne m’a pas apporté que de la joie, au contraire.
Chaque phase exaltante de ma vie m’a fait passer par des moments de doutes, de désarroi, de tristesse. De détresse même. Et chaque fois, quelque chose de plus merveilleux est arrivé. Mais ce manque qui me tord le ventre, le manque d’un sourire, d’une voix, est-ce que ce manque-là va passer ? Est-ce qu’on se remet d’un tel manque viscéral ? J’ai l’impression que c’est incommensurable. J’essaye de reconstruire en pensées les visages, les lieux, la lumière. Mais cela ne fait que me rappeler que j’en suis loin, irrémédiablement trop loin.  Tous ces instants qui se dissipent, je les ai vécus en pleine conscience parce que je savais qu’il faudrait les conserver précieusement pour y voyager plus tard, et pourtant j’ai l’impression qu’ils appartiennent déjà à une autre. Je souffre du temps qui passe, des deuils successifs et inévitables de la vie. 

Je suis celle qui part, toujours. Mais je ne dois pas oublier que je suis aussi celle qui arrive. Ce matin je lisais : « Expériences, rencontres, sensations et souvenirs accumulés nous font baisser la vue mais enrichissent la vie ». J’ai grandi je crois, encore une fois, pendant ce voyage. Mais je n’en prends pas encore la mesure. Je dois accepter de laisser aller les choses et les êtres pour continuer à me construire. Mais c’est dur.

Lors d'une promenade dans les rues de Buenos Aires, la tête pleine de questions, je suis tombée sur cette phrase qui m'a aidée à trouver des réponses. Je devrais m'en saisir comme d'un adage...


Comment vous le gérez, vous, le manque ?
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