vendredi 22 mars 2013

Danser la vie


Le silence se fit un instant dans la pièce, avant de faire place à un swing endiablé, signe d’un entr’acte bien mérité pour les danseurs épuisés. Elle regarda à travers la foule qui reprenait son souffle, timide, mal assurée. Elle croisait des regards qu’elle n’accrochait pas, se demandant avec qui elle passerait le prochain quart d’heure. Si elle espérait qu’il fut un bon danseur, elle se préoccupait surtout de l’attitude de ce partenaire : serait-il bienveillant, à l’écoute, humble ? Serait-ce un bavard, un drôle, un guindé, un prétentieux ? La tiendrait-il très serrée ou au contraire à bout de bras ? Allait-il la guider avec douceur, mollesse, vigueur, brutalité ? Tant d’inconnus la rendaient nerveuse, comme à chaque intermède musical. Ses yeux balayaient l’espace, elle ne savait pas si elle voulait ou non être invitée. Chaque fois le même combat se livrait en elle : elle redoutait et adorait cet infime moment de la rencontre avec l’autre ; instant d’éternité empli des promesses de l’inconnu. Elle oscillait entre regarder ostensiblement le sol, signe qu’elle ne souhaitait pas danser, ou bien au contraire promener son regard sur les uns et les autres. Elle ne s’était pas encore décidée lorsqu’un regard l’accrocha, à l’autre bout de la pièce. Malgré la pénombre, elle ne put s’en défaire. D’un mouvement perceptible d’eux seuls, ils s’accordèrent cette danse. Personne n’aurait su dire comment ils avaient communiqué mais déjà, ils étaient reliés par quelque chose que rien ne pourrait entraver.
La musique reprit, d’abord doucement puis de plus en plus dynamique. Ils se rapprochèrent tandis que les sonorités latines offraient à l’imaginaire des évasions exotiques. Très proches maintenant, face à face, ils prirent une profonde inspiration, les yeux toujours plongés dans ceux de l’autre. Il l’enlaça d’un bras et lui offrit sa main libre. Elle répondit à son invite, et tandis que leur étreinte se mettait naturellement en place, chacun apportant les infimes arrangements pour qu’elle fût parfaite, elle ferma les yeux et ensemble, ils commencèrent, imperceptiblement, à tanguer d’un pied sur l’autre afin d’accorder tous leurs mouvements à l’autre et à la musique. Et la danse commença, unique, concordance parfaite, éternité momentanée, beauté intemporelle et magique d’une rencontre des âmes…

Voilà deux semaines que j’ai commencé à prendre des cours de tango argentin, de façon quasiment intensive puisque pendant 10 jours j’ai eu des cours quotidiens. Des soirées de pratique et des  Milongas (sortes de Bals) étaient organisés, à l’occasion du Holi Tango Festival d’Auroville. Ce fut pour moi une révélation. Je suis plutôt une danseuse de rock (comme je vous le racontaislà), je n’avais jamais pensé au tango que comme une danse incroyable, inaccessible, terriblement sensuelle et vraiment difficile. Bref, pas pour moi. Et pourtant… Et pourtant, je prévois déjà de trouver des cours lorsque je m’installerai à Barcelone dans quelques mois, je pars avec plaisir à Bangalore la semaine prochaine car je sais que je pourrai y suivre un cours, je bouscule mes plans pour aller suivre un cours et une pratique à Pondichéry. Cela ne m’apprend pas uniquement des pas, mais une posture face à l’autre, une ouverture, une écoute. La sensation que j’ai dans les bras d’un danseur est magique, intraduisible pour le moment ; je ne cherche même pas à l’expliquer. Si j’aime danser, regarder les couples se mouvoir sur la piste est pour moi un vrai bonheur : il est quasiment impossible de savoir quand le danseur va lancer l’impulsion du premier pas, et pourtant je m’étonne toujours de voir que la danseuse va presque instantanément suivre son partenaire dans un mouvement miroir. Incroyable synchronisation, jeux de pieds qui paraissent si complexent et beaux,  corps qui semblent liés presque comme dans une étreinte amoureuse et ne forment plus qu’une entité souple, mouvante, quasiment divine… Si le danseur est expérimenté, il pourra emmener sa partenaire dans des figures qui l’intimidaient lorsqu’elle voyait d’autres femmes les exécuter. Mais si elle est totalement à l’écoute de l’homme, et si lui met le soin et la précision nécessaires à chaque pas, alors elle sera capable de ce que même en rêve elle n’osait espérer.

Je suis complètement débutante, donc j’ai eu pas mal de difficultés avec certains danseurs, et puis on ne s’accorde pas toujours bien, expérience ou pas. Mais j’ai eu aussi des tangos fantastiques, durant lesquels je ne me sentais plus maîtresse de mon corps. Quelque chose de magique s’opérait ; comme m’a dit un ami : ces tangos-là, ce sont de vrais voyages, et ce sont des cadeaux qui n’ont pas de prix. 
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