jeudi 17 novembre 2011

Sortie théâtre : Diplomatie

André Dussolier et moi, c'est une grande histoire d'amour. Non pas que ce soit mon idole comme acteur : il est certes très bon à l'écran, mais ce que j'aime le plus, c'est sa voix. Dussolier, il me raconte des histoires. C'est au son de sa voix profonde, caverneuse, un tantinet impertinente et malicieuse, que j'ai vogué dans le monde d'Eugénie Grandet de Balzac, que j'ai découvert les mots terribles de Kafka dans sa Lettre au Père, et surtout, que j'ai découvert Proust.
Et cette voix qui m'entraîne dans le monde des lettres, je l'ai entendue en vrai vendredi dernier.

Je suis allée voir Diplomatie au théâtre de la Madeleine avec mon Prince. J'ai découvert avec surprise que Paris avait faillit être détruit le 25 août 1944, lorsque tout semblait perdu pour les Allemands et que les Alliés arrivaient pour délivrer Paris de leur joug. Dietrich von Choltitz, gouverneur du Grand Paris, n'exécuta pas l'ordre d'Hitler de réduire à un tas de fumée la plus belle capitale du monde. Pourquoi ce militaire nazi, si fidèle, a-t-il dérogé à son devoir ? Est-ce sa rencontre avec Raoul Nordling, l'ambassadeur de Suède à Paris, qui l'aurait fait changer d'avis ?
Cette discussion houleuse sort de l'imaginaire de Cyril Gely, très bien mise en scène par Stephan Meldegg.
C'est Niels Arestrup, que l'on avait vu cet été dans Tu seras mon fils qui incarne à merveille, avec un soupçon d'accent allemand, ce militaire fatigué, épuisé, tiraillé entre son devoir d'obéissance, son éducation militaire et religieuse, et sa morale citoyenne, sa conscience d'homme, de mari et de père de famille. Il est poitrinaire, se déplace avec difficulté : il est las de tout. L'espoir a quitté cet homme au regard vide. La peur et l'indécision le tenaillent du début à la fin, ne l'empêchant pourtant pas d'avoir des répliques acerbes et tranchantes envers ce petit diplomate qui se croit tout permis, interprété par le brillant André Dussolier.
Son apparition inattendue et spectaculaire m'a fait bondir : lorsqu'il a ouvert la bouche et que j'ai reconnue la voix, plus rien ne comptait. L'histoire me captivait déjà, mais alors à partir de là, peu importait que je sois plutôt mal assise dans ces chaises hautes de "la corbeille", et peu importait que je dû me pencher pour voir un petit coin de la scène.
J'ai beaucoup ri, parfois frissonné. Les répliques, quand ce n'étaient pas celles, cinglantes, du général, étaient celles, malicieuses et dites avec une fausse gaucherie, du diplomate, ce qui rendait le personnage si réel qu'on ne pouvait que s'esclaffer devant un jeu d'acteurs si bon.
Tout au long de la pièce, par divers jeux de manipulation, le diplomate va faire peu à peu flancher la détermination du général, il va inoculer en lui le doute, qui va faire chanceler le destin tragique de Paris.

Concernant le théâtre de la Madeleine, je l'ai découvert avec grand plaisir. Les espaces sont beaux, le parquet est brillant et bien ciré, les sièges d'un velours rouge sombre comme on peut s'y attendre. Si vous furetez un peu, vous vous retrouverez dans une jolie pièce de réception, pour les entracte ou les "after". Aux belles dimensions, avec lustres en cristal, dorures et boiseries d'un vert anis tirant sur le vert amande : c'est une pièce tout à fait délicieuse. Par contre, ne vous faites pas d'illusions :  vous n'échapperez pas à l'ouvreuse qui, même si trouvez votre place tout seul, vous interpellera depuis l'autre bout du théâtre, vous faisant regretter votre audace d'avoir voulu vous installer trop vite. Asseyez-vous quand même, elle reviendra arborant un sourire de vierge effarouchée avec, comme disait Proust : "Une main honteuse, mais tendue."
N'ayez pas non plus l'audace de vouloir aller aux toilettes : on vous taxera à tous les coups. Sauf bien sûr, si innocemment vous y allez sans sac ni manteau. Là-bas, soyez pragmatiques.

Un très beau jeu d'écriture, aucun mot n'est de trop ; et ces deux très bons acteurs font de la pièce un incontournable de cet automne. Courrez prendre vos places, elles se font de plus en plus rares !

Diplomatie, au théâtre de la Madeleine, jusqu'au 31 décembre 2011
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3 commentaires:

  1. Quelle chance!Habitant la province je suis privée de théâtre de cette qualité!

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  2. ca dépend où en province, la pièce passe en tournée en 2012 et elle jouera à Lyon aux celestins ou j'ai déja pris des places... moi qui était un habitué des théatres parisiens, quand deux acteurs de cette trempe viennent dans ma ville d'accueil, je ne peux les louper... et tu as parfaitement raison, la voix de dussolier fait partie des plus belles voix des comédiens francais toute générations confondues!!!

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  3. Très bel article, qui donne envie !

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