dimanche 25 septembre 2011

Les traducteurs sont des écrivains

Voila quelques mois que je me fais cette réflexion : lorsqu'on lit un livre étranger en français, on ne lit pas ce qu'a écrit l'auteur. On lit une œuvre du traducteur. Quel artiste méconnu ! Parfois la traduction est un chef d’œuvre, parfois c'est une horreur et on referme le livre avec dégoût en disant "je déteste cet écrivain !" Mais en réalité, s'il s'agit d'un livre étranger, on déteste la traduction (ça m'est récemment arrivé, avec Alabama Song). Parfois, on n'aime pas le sujet ou le traitement, là c'est une autre histoire.
On ne saura jamais réellement ce qu'a écrit Jane Austen si on ne lit pas le texte d'origine : on ne connaitra d'elle que l'interprétation que le traducteur aura faite de la version originale. C'est pourquoi j'aime lire des œuvres anglo-saxonnes dans le texte : chaque mot a été choisi avec soin par l'auteur. Une traduction est une déformation, une interprétation du texte, à mon sens. Mais on ne peut pas toujours lire dans le texte : je ne parle qu'anglais et bredouille quelques mots d'italien et d'espagnol !
John Galsworthy

Je vous disais ici que pendant mes vacances, j'avais entamé une saga familiale sur plusieurs générations : l'Histoire des Forsyte, de John Galsworthy. Deux pavés regroupant les 5 romans et les divers interludes, 2500 pages en tout. Beaucoup trop fastidieux à lire en anglais. Après avoir fini le 1er volume, je m'étais ruée sur le second avec avidité. Mais au bout de quelques pages, grave déception : le ton employé n'était pas le même, où était donc cette ambiance et cette finesse mordante que j'avais tant appréciées ? Je n'ai eu qu'une chose à vérifier : le traducteur n'était pas le même. J'ai essayé de poursuivre : impossible, le texte avait perdu toute saveur ! Le traducteur du roman suivant changerait encore, mais je ne pouvais ni me forcer à lire 300 pages sans plaisir, ni les sauter ! J'ai donc été infidèle aux Forsyte en lisant d'autres livres, en attendant de pouvoir récupérer ce roman seul dans une autre édition, pour pouvoir continuer à lire l'intégrale après. Pleine d'espoir, j'ai vérifié le nom du traducteur : raté ! C'était toujours la même ! Je me suis alors un peu forcée il y a quelques jours à reprendre ce livre, Le Singe Blanc, parce que je voulais absolument connaitre la suite de cette oeuvre magnifique qui dépeint la société anglaise du début du siècle avec une jolie justesse. Et c'est passé tout seul. Je l'ai dévoré, et alors qu'il me restait une trentaine de pages ce matin, j'ai voulu comparer les deux volumes, l'un de poche, l'autre énorme pavé, pour voir s'il y avait des différences. Pourquoi l'un m'avait déçue au bout de 3 pages, et l'autre avait été dévoré en 5 jours?  J'ai été extrêmement surprise : alors qu'il s'agit de la même histoire, et qui plus est de la même traductrice, le texte était entièrement différent ! Il y avait dans l'un des dialogues qui étaient, dans l'autre, deux pages plus loin !

Alors je me le demande, est-ce que les éditeurs modifient beaucoup les textes à leur guise ?
J'ai fait une khâgne option anglais, et des traductions, j'en ai fait beaucoup. J'adorais l'idée que je recréais un texte, je le réinventais, je le ré-écrivais dans ma langue, en l'interprétant bien sûr. Alors je comprends ce que doivent ressentir les traducteurs : ils créent une œuvre de toute pièce, grâce à l’œuvre de quelqu'un d'autre. Une ferveur ardente doit s'emparer d'eux ! Mais cela dénature l’œuvre originale, nous éloigne de l'auteur et de sa pensée. Artistes méconnus, inconnus, mais dont la plume peut décider de notre amour ou notre haine pour un auteur ou un titre. Alors si en plus les éditeurs viennent fourrer leurs nez, la relation auteur-lecteur est perdue !

Source images : Weheartit
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6 commentaires:

  1. Très belle réflexion !
    En master de lettres, j'ai travaillé un peu en littérature comparée le commentaire de traduction : c'était un exercice passionnant ! Il faut dire que l'oeuvre support était de Poe, traduite par Baudelaire... alors forcément, c'était du top niveau !!!!

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  2. Je pense que la traduction dépend aussi de l'attachement et de la connaissance qu'a le traducteur de l'écrivain. Si un traducteur connait mal le contexte de l'époque, n'a pas bien compris la finesse de l'écrivain, il est a mon sens assez peu probable d'avoir une traduction de qualité.
    Mais ce problème se retrouve dans bien d'autres domaines...

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  3. C'est sûr ! Le traducteur reste toujours dans l'ombre de l'auteur original...

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  4. je me faisais également la réflexion après avoir déçue de certaines lectures traduites, car au-delà de la simple traduction il y a aussi des éléments qui ne peuvent tout simplement pas passer dans une autre langue.

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  5. Je viens juste ajouter une petite citation : "Traduire, c'est exécuter une danse pieds et poings liés". Traduire c'est transposer, c'est reécrire comme si la langue de l'auteur avait été celle du traducteur, avec les mêmes outils et ressources...

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  6. @SusanHelen : quelle chance de faire un master lettres, ça doit être passionnant!! (Moi j'ai bifurqué de voie, mais j'aurais pu continuer là-dedans...il y a des jours où je le regrette d'ailleurs). Poe traduit par Baudelaire, quel luxe :)
    @Faustine : tu as tout à fait raison!! C'est vrai que je n'avais pas vraiment réfléchi à cet aspect là du sujet, mais si quelqu'un fait des traductions à la chaine pour gagner sa vie, c'est normal qu'il ne traduise pas du Dickens de la même façon que du Sophie Kinsella!

    @Colinette et Aymeline : je suis contente de voir que vous y avez aussi pensé!

    @Margarida : merci pour cette citation, qui est très juste! D'où vient-elle? Il me semble qu'une simple transposition, cependant, n'est pas toujours possible entre deux langues, mais qu'il faut réellement re-créer le texte...

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