Je suis dans un endroit ravissant à Buenos Aires, mon salon
de thé préféré, caché dans un jardin, hors du temps. J’observe les gens qui m’entourent :
que des couples, sans exception. Enfin, si, moi. J’aime passer du temps dans
les cafés, à écrire. C’est un moment si privilégié. Alors que cela dérange tant
de gens, j’adore déjeuner seule, passer des après-midi entière seule parmi la
foule. J’observe, je détaille, mon esprit vagabonde. En ce jour des amoureux, je
regarde autour de moi, confortablement installée sous un figuier dont les
branches laissent filtrer quelques rayons de soleil qui me réchauffent, mon
café à la main.
C’est drôle, un couple à table qui n’a rien se dire. Aucun des deux n’assume cet instant de silence et l’embarras de chacun rend l’instant insupportable. On sent percer l’angoisse dans les regards, la fébrilité des mains, l’accélération des fourchettes. Alors qu’au fond c’est parfois bien agréable de ne rien dire, d’apprécier la présence de l’autre dans un silence partagé. Chacun regarde de son côté, très intensément, comme s’il avait vu la feuille de salade qui git dans la sauce de l’assiette faire soudain un dernier effort pour ne pas se noyer, ou qui espère que le verre vide, si on le regarde assez longtemps, va se remplir subitement tout seul. Un grain de beauté va attirer l’attention de façon alarmante, ou des fourches de cheveux vont soudain devenir la chose la plus importante au monde. J’ai expérimenté plusieurs cas de figure où l’autre tentait d’échapper à cette torture. Pourtant je n’envoie pas de signaux pour que le silence soit rompu, au contraire. J’ai déjà passé plusieurs heures de silence à regarder un ami dans les yeux, et à discuter ainsi sans mots, sans bruit, sans rien de convenu. Mais souvent, on tente par tous les moyens d’échapper de cette sellette où on a l’impression qu’on va périr en faisant faire périr d’ennui l’autre. Il y en a qui, pour ne plus entendre le bruit fracassant du silence, boivent verre sur verre et se demandent, en se couchant, pourquoi la tête leur tourne tant. D’autres posent les premières questions qui leur viennent en tête –et souvent, cela n’a ni queue ni tête et est complètement déconnecté de la situation, désarçonnant leur interlocuteur qui cherche à répondre à tout prix, à s’accrocher à cette perche salvatrice qui empêche le silence de s’installer et de remettre en cause les bases mêmes de la relation. Le plus facile est de s’embrasser. Le plus commun est de parler des autres qui les entourent. Le plus étrange est le clin d’œil : pour pallier à son mutisme, l’un des deux fait des clins d’œil, répétés si fréquemment qu’on se demande s’il n’a pas un problème. Ça m’est arrivé pendant tout un dîner, je vous assure que c’est étrange, et alors on ne peut pas se permettre de rire à gorge déployée, parce que l’autre est si timide que cela ne ferait que l’écrabouiller et le faire cligner des deux yeux ou s’enfuir en courant.
C’est drôle, un couple à table qui n’a rien se dire. Aucun des deux n’assume cet instant de silence et l’embarras de chacun rend l’instant insupportable. On sent percer l’angoisse dans les regards, la fébrilité des mains, l’accélération des fourchettes. Alors qu’au fond c’est parfois bien agréable de ne rien dire, d’apprécier la présence de l’autre dans un silence partagé. Chacun regarde de son côté, très intensément, comme s’il avait vu la feuille de salade qui git dans la sauce de l’assiette faire soudain un dernier effort pour ne pas se noyer, ou qui espère que le verre vide, si on le regarde assez longtemps, va se remplir subitement tout seul. Un grain de beauté va attirer l’attention de façon alarmante, ou des fourches de cheveux vont soudain devenir la chose la plus importante au monde. J’ai expérimenté plusieurs cas de figure où l’autre tentait d’échapper à cette torture. Pourtant je n’envoie pas de signaux pour que le silence soit rompu, au contraire. J’ai déjà passé plusieurs heures de silence à regarder un ami dans les yeux, et à discuter ainsi sans mots, sans bruit, sans rien de convenu. Mais souvent, on tente par tous les moyens d’échapper de cette sellette où on a l’impression qu’on va périr en faisant faire périr d’ennui l’autre. Il y en a qui, pour ne plus entendre le bruit fracassant du silence, boivent verre sur verre et se demandent, en se couchant, pourquoi la tête leur tourne tant. D’autres posent les premières questions qui leur viennent en tête –et souvent, cela n’a ni queue ni tête et est complètement déconnecté de la situation, désarçonnant leur interlocuteur qui cherche à répondre à tout prix, à s’accrocher à cette perche salvatrice qui empêche le silence de s’installer et de remettre en cause les bases mêmes de la relation. Le plus facile est de s’embrasser. Le plus commun est de parler des autres qui les entourent. Le plus étrange est le clin d’œil : pour pallier à son mutisme, l’un des deux fait des clins d’œil, répétés si fréquemment qu’on se demande s’il n’a pas un problème. Ça m’est arrivé pendant tout un dîner, je vous assure que c’est étrange, et alors on ne peut pas se permettre de rire à gorge déployée, parce que l’autre est si timide que cela ne ferait que l’écrabouiller et le faire cligner des deux yeux ou s’enfuir en courant.
Il y a une espèce de croyance qui veut que nous ayons
toujours des discussions au restaurant, que nous fêtions la saint-valentin le
14 février, que nous soyons en famille à noël, que nous ne trempions pas nos
tartines de pan con tomate dans du café con leche. Pourquoi doit-on se forcer à
des choses qu’on ne ressent pas dans l’instant ? Ce midi, j’ai vraiment vu
un couple d’amoureux qui semblait souffrir le martyre à chercher des sujets de
discussion. Ça n'est pas grave ! C'est dur à accepter pour la plupart... Avec certains amis, il nous arrive de se dire excuse moi, mais ne parlons pas pendant quelques minutes. Et on est bien, ensemble. Lorsque je suis bien dans un silence, souvent, il m’arrive de
prendre une grande inspiration, pour faire entrer en moi tout ce silence
partagé, pour l’épandre, le savourer dans un souffle. Mais c’est souvent pris
pour un soupir, et l’autre en face, s’il ne sait apprécier ces instants et les
considérer comme un partage plus fort que les mots, s’inquiète, se désole,
panique. Du calme ! On n’a pas toujours besoin de remplir l’espace avec
des mots ou du bruit ! Ecoutez ce silence, n’est-il pas merveilleux ?
C’est ça l’amour, aussi…
Oh c'est beau, très joliment dit et je partage à 200% ton avis. Il n'est pas toujours nécessaire de se parler, au restaurant comme dans d'autres situations d'ailleurs. Après, je peux aussi comprendre que certaines personnes soient mal à l'aise avec le silence.
RépondreSupprimerComme tu le dis très bien, il y a silence et silence: selon les personnes et les situations, il peut être serein ou gêné!
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