mercredi 3 octobre 2012

Les enfants de minuit

Pendant des années, j'ai feuilleté des livres de Salman Rushdie dans les librairies, attirée par le nom exotique de cet auteur indien, par des éditions parfois magnifiques, des titres attirants. Mais je n'avais jamais osé. Jusqu'à maintenant. Je ne sais pas pourquoi je me suis toujours sentie toute petite à côté des livres de cet auteur dont je n'avais jamais rien lu et très peu entendu parler. On m'a récemment recommandé "Les enfants de minuit", et je me suis jetée à l'eau. Cet énorme pavé est une sorte de tourbillon dont il m'a été difficile de sortir. L'histoire, le style, le mode narratif, tout est une sorte de gros ouragan de mots, d'évènements qui m'ont laissée le souffle court. L'écriture est d'une qualité rare (merci au traducteur d'avoir retranscrit un tel livre avec cette finesse) et l'histoire est si complexe mais si bien amenée que cela m'a immédiatement fait penser à Proust : je me suis imaginé les brouillons de Rushdie pour ce livre, et je voyais des collages dans tous les sens, des bouts rajoutés, des rappels accrochés partout... comme Proust lors de l'élaboration de La Recherche Du Temps Perdu.
Le 15 août 1947, l'indépendance de l'Inde a été proclamée, et ce fut une nouvelle naissance pour ce gigantesque pays. Des enfants sont nés en même temps que l'Inde indépendante, à minuit ce 15 août, et sont tous dotés de pouvoirs magiques très divers, qu'on n'imaginerait même pas dans nos rêves les plus fous. Saleem Sinai, le héros de cette épopée, est l'un des enfants de minuit, celui qui fut reconnu par l'Etat comme L'Enfant : il est né exactement à minuit et son destin sera lié pour toujours à celui de son pays. On entre ainsi dans la vie d'une famille indienne musulmane aisée, remontant à deux générations au-dessus de Saleem pour bien comprendre les tenants et aboutissants de sa personnalité, de tous les membres de sa famille, de tous les évènements qui leur arrivent. On pourrait penser qu'on s'y perd, mais pas du tout : Salman Rushdie parvient à nous rappeler la succession des évènements qui nous a amenés à tel moment de l'histoire : en quelques phrases, quelques pages, il nous retrace la chronologie d'une main de maitre. Ce n'est jamais ennuyeux, au contraire il le raconte toujours différemment et on est toujours content de se rappeler de telle chose qu'on pensait avoir oubliée ou mal comprise. Mais ce n'est pas un roman naïf : c'est un pamphlet politique virulent dans lequel l'auteur critique de façon très acerbe de nombreux aspects du pays : son gouvernement, ses fonctionnaires, la guerre avec le Pakistan... C'est Indira Gandhi qui est la principale cible de Rushdie. J'avais lu "Le Sari Rose" qui met au contraire Indira Gandhi dans une position de victime d'un système plus que de femme cruelle assoiffée de pouvoir, et du coup à la lecture des Enfants de Minuit, j'ai pu mieux comprendre l'importance des évènements historiques relatés, prendre un peu de recul aussi. C'est un livre vraiment intéressant, très bien écrit, et la façon circonvolutoire dont l'histoire est racontée m'a beaucoup plu : je pense que c'est un livre qui se lit et se vit avant tout, et je me rend compte à quel point il est difficile d'en parler. Une fresque passionnante qui a reçu le Booker Prize en 2008 : et c'est mérité amplement !
L'auteur est né en Inde en 1947, je n'ai pas pu m'empêcher, tout au long de ce roman fleuve, de me dire que petit garçon, Rushdie fantasmait sur de tels pouvoirs magiques, qu'il se disait que son destin était lié à celui de l'Inde... en un sens, sa vie est véritablement liée à son pays de naissance, bien qu'il n'y réside plus depuis longtemps. En 1989, Rusdie est condamnée à la Fatwa à cause de son livre "Les versets sataniques", jugé comme blasphématoire par le monde musulman, et l'auteur laisserait entendre qu'il ne croit plus en l'Islam dans son roman, il est donc également condamné pour apostasie. Pendant 10 ans il a vécu sous la haute protection britannique car sa tête avait été mise à prix, et même si on lui a assuré que désormais on ne tenterait pas de le tuer, on ne peut lever la Fatwa. Il est condamné à vie et ne peut plus guère retourner en Inde : en janvier il a été menacé de mort par des musulmans alors qu'il prévoyait de se rendre à Jaipur pour un salon littéraire... Son livre a été interdit dans de nombreux pays musulmans...

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3 commentaires:

  1. J'ai essayé de lire "Le dernier soupir du Maure" mais j'avoue que le style me paraît lourd. Je ne suis jamais arrivé à aller au delà de la page 2 malheureusement. Non pas que l'histoire ne m'intéresse pas, mais quand je lis un livre, je bloque sur le style, il me faut un style qui permet une lecture fluide. Et pourtant, comme toi, j'ai envie de finir un livre de cet auteur qui me fascine.

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  2. Ce livre est dans ma wishlist urgente depuis un bon moment, et là avec ton article, je vais le commander dans les prochains jours !

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  3. non,mais ton commentaire et mon intérêt pour l'Inde me tente de lire cet auteur

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