Il était une fois une jeune fille de la caste des Brahmanes
(la plus érudite, la plus stricte) née et élevée dans un village du Rajasthan.
A 19 ans, elle fut mariée à un homme qu’elle ne connaissait point : elle
fut marchandée et vendue par sa famille. Elle alla s’installer dans la famille
de son époux directement après les noces, dans la grande ville d’Udaipur. Elle
ne parlait qu’un dialecte du Rajasthan et dut apprendre l’hindi au plus vite,
au risque de ne jamais avoir aucun échange avec quiconque, dans sa nouvelle
famille et ailleurs. De cette union naquirent
deux fils, qui furent élevés dans la famille élargie, auprès de leurs
grand- parents, leurs oncles et tantes, leurs cousins, comme toute famille
indienne respectueuse de la tradition. Moins de 10 ans après son mariage, le
mari mourut. Elle dut observer le rituel du deuil à la lettre, restant 45
jours enfermée chez elle, noyée sous un flot de tissus, dans un petit coin,
pleurant la mort de son maître. La vie de la veuve commença à être un enfer. Sa
belle-famille montra son vrai visage : elle était ignorée par tous,
reniée, elle était devenue transparente, inexistante. Seuls ses fils furent
considérés par les leurs. Contrairement à elle, ses fils leur étaient reliés
par le sang.
Cette pauvre âme maltraitée ne pouvait retournée dans son
village, ni ne pouvait espérer se construire une vie ailleurs : là était
sa place, jusqu’à sa mort. Si elle ne l’était pas déjà du vivant de son mari,
elle devint prisonnière de cette belle-famille haïssante. On commença à lui
demander de payer pour ses consommations
d’eau, d’électricité, de nourriture. On lui faisait payer que son mari fut mort
et elle vivante. Elle était pauvre, sans ressources financières ni humaines.
Elle vivait dans deux pièces jusqu’à ce qu’elle dût en rendre une faute de
moyens : on lui prit sa cuisine pour ouvrir un restaurant. Deux ans elle
vécut sans électricité car elle ne pouvait payer les montants qu’on lui
demandait. Pour ne pas laisser ses enfants mourir de faim, elle réussit à
gagner quelques roupies par jour en lavant les vêtements des touristes, dans le
plus grand secret de tous : les Brahmanes n’ont pas le droit d’exercer un
métier si déshonorant. Chacun prenait une part de son gagne-pain : le
bakchich est roi en Inde. Sa précarité était telle qu’elle ne put bientôt plus
honorer les frais de scolarité de ses enfants, qui étaient désespérés de ne
plus pouvoir aller à l’école. Alors, enfin, elle demanda de l’aide à sa sœur
qui lui donna de l’argent, permettant ainsi de ne pas envoyer ses enfants de 10
et 8 ans gagner leur croûte tous les jours dans les rues.
Un jour, un irlandais vint passer quelques jours à Udaipur,
ville encore très peu touristique. Il venait souvent diner au restaurant de la
belle-famille et alors se prit d’amitié pour cette femme harassée, durcie,
seule au monde. Leur amitié ne put passer par les mots mais par un langage plus
universel. Elle lui fit à manger, et il trouva cela si bon qu’il souffla l’idée
qu’elle ouvrit un cours de cuisine pour les étrangers. Elle ne parlait pas un
mot d’anglais, elle tenait tout ce qu’elle savait de sa mère mais n’avait
jamais rien enseigné, ni transmis. L’idée fit son chemin, une liste de recettes
commença à se dresser. Son premier cours arriva, elle tremblait, mais tous
furent bienveillants avec elle, l’aidèrent à apprendre chaque mots, et peu à
peu, à travers les cours, elle apprit à parler anglais mais également d’autres
langues. Des australiens lui écrivirent ses recettes en anglais, et d’autres
étrangers se relayèrent pour lui envoyer, peu à peu, des traductions des
recettes dans d’autres langues. Quelqu’un lui fit son site internet une fois
rentré de ses vacances. On l’aidait volontiers, tant elle avait su toucher
chacun avec sa nourriture délicieuse et son charme de maman poule. Cette femme
intelligente au regard vif parvint à s’extraire de la misère en apprenant tout
ce qu’une mère indienne doit naturellement apprendre à sa fille : la
cuisine. Aujourd’hui, j’ai passé 5h avec Shashi à sentir, goûter, malaxer,
couper, frire, déguster, mixer, mélanger, apprendre. Comme j’aurais pu faire
avec ma propre mère, et c’était un moment merveilleux.
Il y a des histoires magiques en Inde... heureusement, mais si peu... noyées dans cette "masse"... mais toujours dramatiques en réalité.
RépondreSupprimerElle est belle cette histoire ! J'ai pris des cours de cuisine au Cambodge et j'ai adoré ce moment, même si cela n'avait rien à voir avec ce que tu as vécu avec cette femme.
RépondreSupprimerBonsoir Blanche, c'est une histoire très touchante que tu racontes là... Je découvre que ça y est, tu es partie en Inde ; je ne connaissais pas ton projet en détail mais savais à quel point il te tenait à cœur, je te souhaite donc de belles rencontres et une formidable expérience... Et je lirai avec plaisir tes publications sur ton voyage.
RépondreSupprimerquelle chance!
RépondreSupprimerOh quelle jolie histoire :) je suis contente qu'elle ait une fin heureuse car cette pauvre femme ne méritait pas une telle méchanceté et dureté de la vie. Bonne journée!
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