mardi 2 octobre 2012

Une histoire indienne

Il était une fois une jeune fille de la caste des Brahmanes (la plus érudite, la plus stricte) née et élevée dans un village du Rajasthan. A 19 ans, elle fut mariée à un homme qu’elle ne connaissait point : elle fut marchandée et vendue par sa famille. Elle alla s’installer dans la famille de son époux directement après les noces, dans la grande ville d’Udaipur. Elle ne parlait qu’un dialecte du Rajasthan et dut apprendre l’hindi au plus vite, au risque de ne jamais avoir aucun échange avec quiconque, dans sa nouvelle famille et ailleurs. De cette union naquirent  deux fils, qui furent élevés dans la famille élargie, auprès de leurs grand- parents, leurs oncles et tantes, leurs cousins, comme toute famille indienne respectueuse de la tradition. Moins de 10 ans après son mariage, le mari mourut. Elle dut observer le rituel du deuil à la lettre, restant 45 jours enfermée chez elle, noyée sous un flot de tissus, dans un petit coin, pleurant la mort de son maître. La vie de la veuve commença à être un enfer. Sa belle-famille montra son vrai visage : elle était ignorée par tous, reniée, elle était devenue transparente, inexistante. Seuls ses fils furent considérés par les leurs. Contrairement à elle, ses fils leur étaient reliés par le sang.
Cette pauvre âme maltraitée ne pouvait retournée dans son village, ni ne pouvait espérer se construire une vie ailleurs : là était sa place, jusqu’à sa mort. Si elle ne l’était pas déjà du vivant de son mari, elle devint prisonnière de cette belle-famille haïssante. On commença à lui demander  de payer pour ses consommations d’eau, d’électricité, de nourriture. On lui faisait payer que son mari fut mort et elle vivante. Elle était pauvre, sans ressources financières ni humaines. Elle vivait dans deux pièces jusqu’à ce qu’elle dût en rendre une faute de moyens : on lui prit sa cuisine pour ouvrir un restaurant. Deux ans elle vécut sans électricité car elle ne pouvait payer les montants qu’on lui demandait. Pour ne pas laisser ses enfants mourir de faim, elle réussit à gagner quelques roupies par jour en lavant les vêtements des touristes, dans le plus grand secret de tous : les Brahmanes n’ont pas le droit d’exercer un métier si déshonorant. Chacun prenait une part de son gagne-pain : le bakchich est roi en Inde. Sa précarité était telle qu’elle ne put bientôt plus honorer les frais de scolarité de ses enfants, qui étaient désespérés de ne plus pouvoir aller à l’école. Alors, enfin, elle demanda de l’aide à sa sœur qui lui donna de l’argent, permettant ainsi de ne pas envoyer ses enfants de 10 et 8 ans gagner leur croûte tous les jours dans les rues.
Un jour, un irlandais vint passer quelques jours à Udaipur, ville encore très peu touristique. Il venait souvent diner au restaurant de la belle-famille et alors se prit d’amitié pour cette femme harassée, durcie, seule au monde. Leur amitié ne put passer par les mots mais par un langage plus universel. Elle lui fit à manger, et il trouva cela si bon qu’il souffla l’idée qu’elle ouvrit un cours de cuisine pour les étrangers. Elle ne parlait pas un mot d’anglais, elle tenait tout ce qu’elle savait de sa mère mais n’avait jamais rien enseigné, ni transmis. L’idée fit son chemin, une liste de recettes commença à se dresser. Son premier cours arriva, elle tremblait, mais tous furent bienveillants avec elle, l’aidèrent à apprendre chaque mots, et peu à peu, à travers les cours, elle apprit à parler anglais mais également d’autres langues. Des australiens lui écrivirent ses recettes en anglais, et d’autres étrangers se relayèrent pour lui envoyer, peu à peu, des traductions des recettes dans d’autres langues. Quelqu’un lui fit son site internet une fois rentré de ses vacances. On l’aidait volontiers, tant elle avait su toucher chacun avec sa nourriture délicieuse et son charme de maman poule. Cette femme intelligente au regard vif parvint à s’extraire de la misère en apprenant tout ce qu’une mère indienne doit naturellement apprendre à sa fille : la cuisine. Aujourd’hui, j’ai passé 5h avec Shashi à sentir, goûter, malaxer, couper, frire, déguster, mixer, mélanger, apprendre. Comme j’aurais pu faire avec ma propre mère, et c’était un moment merveilleux. 
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5 commentaires:

  1. Il y a des histoires magiques en Inde... heureusement, mais si peu... noyées dans cette "masse"... mais toujours dramatiques en réalité.

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  2. Elle est belle cette histoire ! J'ai pris des cours de cuisine au Cambodge et j'ai adoré ce moment, même si cela n'avait rien à voir avec ce que tu as vécu avec cette femme.

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  3. Bonsoir Blanche, c'est une histoire très touchante que tu racontes là... Je découvre que ça y est, tu es partie en Inde ; je ne connaissais pas ton projet en détail mais savais à quel point il te tenait à cœur, je te souhaite donc de belles rencontres et une formidable expérience... Et je lirai avec plaisir tes publications sur ton voyage.

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  4. Oh quelle jolie histoire :) je suis contente qu'elle ait une fin heureuse car cette pauvre femme ne méritait pas une telle méchanceté et dureté de la vie. Bonne journée!

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