Le groupe dut se frayer un chemin pour trouver le compartiment qui leur avait été attribué par le chef de gare. Le quai était bondé, partout où l’on jetait un regard il y avait des vendeurs de nourriture et de bouteilles d’eau, des cireurs de chaussures, des marchants d’objets complètement hétéroclites, des familles qui dormaient à même le sol, des porteurs de bagages pour les nantis et les étrangers. Beaucoup de personnes semblaient errer, assommées par l’inexorable chaleur d’avant la mousson. Certains chiquaient, d’autres mâchonnaient des flocons de céréales de toutes sortes, comme c’était de coutume dans la région. Bien qu’il soit surexcité par ce voyage dont il avait toujours rêvé mais dont il n’avait jamais osé croire la réalisation possible, il était inquiet. Les trois jours de voyage lui faisaient peur : il n’avait jamais quitté sa bourgade avant d'arriver ici, et Devilal lui avait parlé des scolopendres qui grimpaient sur vous la nuit pour prendre possession de votre corps en entrant par votre bouche. Il disait que c’étaient des démons qui mangeaient les entrailles et les yeux. Cette idée le glaçait d’effroi, et il dut se secouer pour faire passer le frisson qui le parcourait, comme s’il avait soudain été couvert de neige. Le nœud de la bretelle cassée de son sac à dos se défit de nouveau, alors il s'arrêta pour le refaire. Tout à coup, il se sentit attrapé par la manche et tiré violemment à l’intérieur du train. Un peu plus et il l’aurait manqué ; heureusement que Yuyutsu avait remarqué qu’il était à la traine du groupe : c’était son rôle d’amener les enfants à bon port. Un peu désorienté, il sentait son cœur battre la chamade sous son maigre thorax, et ses oreilles bourdonner. Il se frotta les yeux qui s’habituèrent progressivement à la pénombre du compartiment étouffant où l’air chaud se plaquait sur les visage à chaque tour que faisaient les lentes pales du ventilateur bruyant. Il régnait un chahut et un désordre incroyables : tous les enfants étaient exaltés et s’attroupaient joyeusement aux fenêtres afin de regarder le paysage qui défilait de plus en plus vite devant leurs yeux émerveillés. Pour la plupart, c’était la première fois qu’ils quittaient le village, lorsque le bus cahotant les avait emmenés à la gare de Bangalore, et l’aventure qui les attendait maintenant allait changer leur vie à jamais.
Les familles qui voyageaient dans le même compartiment étaient amusées de l’enchantement de ces petits de six à huit ans, qui piaillaient comme des mésanges. Un musicien itinérant se mit à chanter, ce qui fit accourir tous les enfants autour de lui. Il avait des maracas de fortune qu'il faisait tinter en rythme, faites avec noix de cocotiers dans lesquelles il avait glissé des graines de margousier séchées. Très vite, les enfants l’accompagnèrent en tapant dans leurs mains. Bientôt, il fut l’heure de manger : Yuyutsu donna une tomate à chacun avant que les boys n’apportent les repas des cuisines. Maulik était fasciné par tout ce qu’il voyait. Ce petit orphelin, comme la plupart de ses camarades, n’avait jamais connu ses parents, morts lors de l’attaque de leur village par la guérilla, qui l’avait miraculeusement laissé en vie. Il avait été recueilli par le village voisin qui avait alors créé un orphelinat pour tous les enfants rescapés et sans famille des villages ayant subit l’assaut des Tigres. Alors que son destin de mendiant semblait tout tracé, un homme riche était un jour venu pour proposer aux 27 enfants, qui avaient tous moins de 8 ans, de venir chez lui, au Sri Lanka, afin d’être placés dans des familles nanties en mal d’enfants. Cet inconnu avait paru très influent, et l’argent qu’il donna aux responsables de l’orphelinat finit de les convaincre de se débarrasser de leurs protégés qui étaient devenus une charge trop lourde et trop peu rentable pour ce pauvre village. Il s'occupa de toutes les démarches administratives, comme trouver des passeports à chacun. Maulik avait donc été confié à Yuyutsu avec tous ses compagnons de parcours pour une vie meilleure.
Lorsqu’il s’allongea sur la couchette aux côtés de Devilal, veillant à bien fermer la bouche, il tenta de calmer son angoisse de la nuit qu'il allait devoir passer là en pensant à tout ce qu’on lui avait raconté de sa nouvelle vie : un véritable foyer, dans un pavillon confortable, rempli de la tendresse de parents qui lui liraient des livres d’histoires, lui permettraient d’aller à l’école pour faire des études et apprendre à lire et à écrire.
Mais il faisait erreur. Il ne savait pas que lorsqu’il serait descendu du train pour prendre le bateau qui l’accosterait à Colombo, ce n’est pas dans une belle maison coloniale qu’on l’amènerait. On le conduirait dans les profondeurs de la forêt Sri Lankaise, qui serait bientôt terriblement boueuse avec la mousson. Là, il apprendrait la lutte armée et serait, en 2 ans, transformé en machine à tuer pour renforcer les rangs de la guérilla, toujours plus forte, toujours plus violente. Mais pour l’instant, il s’était endormi en pensant à cette jolie vie qui se profilait, le reflet de son sourire toujours sur le visage.
* Plus de 5000 enfants ont été recrutés par les Tigres de Libération de l'Eelam tamoul (LTTE), et aujourd'hui l'ONU estime que 300 000 enfants soldats sont en activité dans le monde.
Les mots imposés pour Des mots, une histoire 54 sont : erreur – tendresse – train – thorax – scolopendre – lutte – inconnu – inexorablement – boue – pavillon – compagnie – foyer – neige – étude – mésange – flocon – accoster – désorienté – parcours – tomate – chanter – gare – livre
Les familles qui voyageaient dans le même compartiment étaient amusées de l’enchantement de ces petits de six à huit ans, qui piaillaient comme des mésanges. Un musicien itinérant se mit à chanter, ce qui fit accourir tous les enfants autour de lui. Il avait des maracas de fortune qu'il faisait tinter en rythme, faites avec noix de cocotiers dans lesquelles il avait glissé des graines de margousier séchées. Très vite, les enfants l’accompagnèrent en tapant dans leurs mains. Bientôt, il fut l’heure de manger : Yuyutsu donna une tomate à chacun avant que les boys n’apportent les repas des cuisines. Maulik était fasciné par tout ce qu’il voyait. Ce petit orphelin, comme la plupart de ses camarades, n’avait jamais connu ses parents, morts lors de l’attaque de leur village par la guérilla, qui l’avait miraculeusement laissé en vie. Il avait été recueilli par le village voisin qui avait alors créé un orphelinat pour tous les enfants rescapés et sans famille des villages ayant subit l’assaut des Tigres. Alors que son destin de mendiant semblait tout tracé, un homme riche était un jour venu pour proposer aux 27 enfants, qui avaient tous moins de 8 ans, de venir chez lui, au Sri Lanka, afin d’être placés dans des familles nanties en mal d’enfants. Cet inconnu avait paru très influent, et l’argent qu’il donna aux responsables de l’orphelinat finit de les convaincre de se débarrasser de leurs protégés qui étaient devenus une charge trop lourde et trop peu rentable pour ce pauvre village. Il s'occupa de toutes les démarches administratives, comme trouver des passeports à chacun. Maulik avait donc été confié à Yuyutsu avec tous ses compagnons de parcours pour une vie meilleure.
Lorsqu’il s’allongea sur la couchette aux côtés de Devilal, veillant à bien fermer la bouche, il tenta de calmer son angoisse de la nuit qu'il allait devoir passer là en pensant à tout ce qu’on lui avait raconté de sa nouvelle vie : un véritable foyer, dans un pavillon confortable, rempli de la tendresse de parents qui lui liraient des livres d’histoires, lui permettraient d’aller à l’école pour faire des études et apprendre à lire et à écrire.
Mais il faisait erreur. Il ne savait pas que lorsqu’il serait descendu du train pour prendre le bateau qui l’accosterait à Colombo, ce n’est pas dans une belle maison coloniale qu’on l’amènerait. On le conduirait dans les profondeurs de la forêt Sri Lankaise, qui serait bientôt terriblement boueuse avec la mousson. Là, il apprendrait la lutte armée et serait, en 2 ans, transformé en machine à tuer pour renforcer les rangs de la guérilla, toujours plus forte, toujours plus violente. Mais pour l’instant, il s’était endormi en pensant à cette jolie vie qui se profilait, le reflet de son sourire toujours sur le visage.
* Plus de 5000 enfants ont été recrutés par les Tigres de Libération de l'Eelam tamoul (LTTE), et aujourd'hui l'ONU estime que 300 000 enfants soldats sont en activité dans le monde.
Les mots imposés pour Des mots, une histoire 54 sont : erreur – tendresse – train – thorax – scolopendre – lutte – inconnu – inexorablement – boue – pavillon – compagnie – foyer – neige – étude – mésange – flocon – accoster – désorienté – parcours – tomate – chanter – gare – livre
Ohlala, quelle chute terrible....On est dans la même mouvance que le texte de la semaine dernière, c'est vraiment ton style...
RépondreSupprimerSuperbe en tout cas, car on ne s'y attend absolument pas!
Je suis scotchée vraiment et un peu secouée je l'avoue!
Merci chère Charlotte, oui, j'aime écrire ce type de texte, même si c'est douloureux... Je me sens dans ce petit garçon, plein de rêves et d'espoirs. Impossible de lui donner un avenir plus heureux, c'est ainsi que s'est décidé son destin, je n'y suis pour rien. Le mot "boue" a tout fait basculer dans mon esprit...
SupprimerEn effet, je ne m'étais pas du tout attendu à cette chute! Bravo!
RépondreSupprimerMerci Marc!
SupprimerDur, dur.. le changement de tonalité.Beau texte.
RépondreSupprimerOui, très. J'ai été vraiment touchée d'écrire ce texte, je l'ai vraiment senti sortir de mes tripes, c'est une des premières fois que cela m'arrive, avec le texte de la semaine dernière...
SupprimerBELLE AMBIANCE JE N EN SUIS PAS ENCORE SORTIE...
RépondreSupprimerMerci chère Douchka! Un instant, j'ai fermé les yeux et je me suis revue, il y a huit mois, à la gare de Delhi, attendant un train pour Khajuraho et j'ai revu tout ce que je décris... J4ai ressenti la chaleur, les odeur, j'ai revu certains visages... PLonger dans ces souvenirs m'a beaucoup émue et j'ai mis plusieurs jours à m'en sortir..
SupprimerJe suspectais une fin bien sombre et je ne suis pas déçue (je suis une adepte des chutes saisissantes, même si pour le moment, je n'en fais pas trop usage) !
RépondreSupprimerContente que ça t'ait plu Olivia, oui, en ce moment, je veux écrire ce genre de chose, alors je laisse ma plume décider des tournants de mes histoires!
SupprimerJ'aime beaucoup ce texte, il m'évoque quelques lectures que j'avais faites. Très joli style, le décor est bien planté, on s'y croirait!
RépondreSupprimerMerci Little Cat, quelles lectures est-ce que ça t'évoque? (ça m'intéresse!) En tout cas, je m'y suis crue en écrivant, je tenais la main du petit Maulik..
SupprimerMagnifique... Beau travail !!
RépondreSupprimerMerci beaucoup Agoaye !
SupprimerEncore une dure réalité, hélas.
RépondreSupprimerC'est grave et bien écrit.
Pourtant le sujet ne me tente pas trop.
Merci, que veux-tu dire par "le sujet ne me tente pas trop" ?
SupprimerJ'ai senti venir le tournant de l'histoire, dur...
RépondreSupprimerOui, très... impossible de faire autrement!
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe découvre grace à un lien sur le blog de Belette.
La violence de la chute me laisse songeuse, combien d'enfants ont vécu ce drame.
A part cela très bien raconté.
Bonjour Jo, merci de ton commentaire. Du coup, vous êtes plusieurs à m'avoir fait cette "remarque" concernant le nombre d'enfants soldats... J'ai donc fait des recherches précises et je l'ai rajouté. C'est un chiffre dramatique et révoltant !
SupprimerChute inexorable dans ces pays en guerre !
RépondreSupprimerVous avez abandonné le froid, la neige pour les tropiques, ça réchauffe le corps mais pas le cœur !
Bonne histoire, facile à lire, j’aime beaucoup :)
Bonjour Belladonna, en effet, mon coeur est par là-bas en ce moment, alors je dois suivre ma plume qui m'a incitée à écrire dans cet environnement d'une chaleur terrible!
SupprimerMerci :-)
Dure réalité ! pauvres mômes ! Mais que faire ? Très bien raconté en tout cas :-)
RépondreSupprimerMerci Valentyne, oui, c'est terrible...
SupprimerDes mots au hasard pour une réalité bien réelle qui, heureusement, semble sur le point de se terminer au Sri Lanka mais cela n'est pas encore le cas dans de nombreux pays d'Afrique.
RépondreSupprimerL'ambiance de la gare est saisissante de réalisme.
Belle journée
Antonio
Bonjour Antonio, en effet, je pense que c'est quelque chose qui ne sera pas résolu avant des décennies, si tant est que ça se résolve un jour et qu'on laisse ces enfants vivre normalement. La gare...ah, ça, c'est du vécu :-)
SupprimerMerci et belle journée également!
Une très belle leçon d'histoire contemporaine, qui nous apprend l'envers du décor. :D
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerMerci Ceriat! Je voulais mettre ce problème en avant, sans faire la leçon, je suis touchée que ça ait touché tant de gens..
Supprimeron se laisse emporter par tes mots dont les derniers nous révoltent !
RépondreSupprimerMerci Lucie! Oui, triste réalité... Ca me révolte!!
SupprimerUn texte pour la bonne cause! Il faudra que je me penche sur le sujet une fois prochaine...
RépondreSupprimerOui, ça a du sens pour moi... Contente que le sujet puisse t'inspirer! Au plaisir de te lire
SupprimerJe suis la seule à ne pas arriver à lire ce texte ?
RépondreSupprimerMon écran me joue des tours ? je n'ai que des signes cabalistiques ! :-o
Tiens, seraient-ce les Tigres qui ont piraté mon ordi??!
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