jeudi 8 décembre 2011

Des mots, une histoire : petit exercice d'écriture 4



Les mots imposés pour l’édition 49 du jeu Des mots, une histoire sont : tulipe – éléphant – calendrier – hiberner – panser – cachemire – romantique – réceptacle – malmener – féerie – sapin – possession – voyage – fondre – larme – esclavagisme – éphémère – lumineux – relèvement – santon – silence – chanter – frimas – métro


Le cœur de Fleur se mit à battre la chamade. Elle ferma les yeux, brisant en un instant le lien ténu que leurs regards avaient tissé. Elle prit une profonde inspiration, offrant à son corps, devenu réceptacle, l’air marin dont la fraîcheur annonçait l’arrivée prochaine des frimas. Était-ce pour calmer l’affolement qui l’avait saisie si brusquement et qui faisait maintenant battre son cœur si fort ? Sans doute. Mais plus certainement, c’était pour savourer un peu plus longtemps l’écho délicieux de ces mots, de tout ce qu’ils pouvaient renfermer de magie et d’espoir. Le silence se fit entre eux, seul le bruit des vagues et de leurs respirations leur parvenait. La voix reprit, profonde et vibrante cette fois :
« Pardonnez-moi, je… » Elle murmura immédiatement « Chut, ne dites rien. Vous avez raison. C’est vous que je cherchais. Je le sens. »
C’était l’instant le plus fou et le plus romantique de sa vie. Le bien-être qu’elle ressentait en la présence de cet inconnu serait-il éphémère ? Elle espérait que non, car elle savait qu’à l’instant même où elle redescendrait sur terre, son démon intérieur la malmènerait et elle regretterait d’avoir dit des choses si niaises. Peu importe. C’est ce qu’elle ressentait maintenant, et elle laisserait à la Fleur du futur se charger de sa conscience. Pour l’instant, elle voulait vivre ce moment si incroyable de tout son être, sans se poser de questions.

Alors elle ouvrit les yeux et le vit, toujours là, à quelques pas d’elle. Son regard était franc et brillant, brûlant d’expectative. Qu’allait-elle faire ou dire ? Il semblait au supplice, alors elle lui offrit un sourire bienveillant. Le visage de l’homme se détendit instantanément. Soudain, une vague plus violente, accompagnée d’une bourrasque, leur éclaboussa les pieds et ils furent si surpris qu’ils bondirent de côté, et éclatèrent de rire de concert. Le charme n’était pas rompu, au contraire : une douce complicité venait de s’établir entre eux. La solennité du moment s’était pourtant évanouie, et ils purent parler plus naturellement.
« Je suis Fleur, annonça-t-elle.
- Quel joli prénom ! Il vous va très bien, on doit souvent vous le dire.
- Merci, dit-elle en rougissant, avant d’ajouter précipitamment : et vous ?
- Le mien va vous paraître bien banal : je m’appelle Pierre.
- Comme mon grand-père ! S’exclama-t-elle en resserrant la ceinture de son manteau.
- Merci bien ! dit-il en feignant le mécontentement, les poings sur les hanches et le coin des lèvres relevé en un rictus malicieux.
- Mais non enfin, répondit-elle en riant sincèrement. Je l’aimais beaucoup et ce prénom me rappelle toujours de bons souvenirs.
- Alors tant mieux, fit-il avec un mélange de soulagement et de franche camaraderie. J’aurais changé de prénom s’il vous rappelait quelque chose de malheureux. »

Ces quelques mots avaient suffi à la remettre d’aplomb et à panser la blessure qu’elle avait rouverte en pensant à sa mère. Ils se promenèrent longtemps, parlant de mille choses. Il était ornithologue (« quelle drôle d’idée ! » s’était-elle exclamée), et se préparait à un voyage au Cachemire où, à dos d’éléphant, il étudierait les oiseaux pendant plusieurs semaines. Elle lui raconta qu’elle passait noël ici seule depuis quelques années : c’était un cadeau précieux qu’elle s’offrait : un peu de douceur et de paix, loin des métros parisiens, des boutiques à outrance, du surplus de population. Elle aimait les traditions locales : les santons de Provence, la féérie qui régnait sur le bord de mer et dans le village, la forêt où les villageois décoraient les sapins et se réunissaient pour chanter des cantiques. On lui avait raconté que certaines nuits, des tulipes d’hiver naissaient pour écouter ces chants, mais c’était une légende. Elle rit de la naïveté qu’elle avait eue d’y croire (« Mais pourquoi ne pas croire en la magie ? La vie peut nous réserver de belles surprises » avait-il prophétisé).
Ses yeux étaient éclairés du plaisir d’être avec lui, lumineux, et une petite larme brillait au coin de chaque œil à cause du froid et du vent, et peut-être aussi de l'excitation. Il buvait les paroles de cette jeune femme en fleur. Le regard fasciné, presque énamouré de Pierre la faisait fondre. Avec lui, elle sentait qu’elle pourrait être libre et légère, et ne plus être dans une relation de possession violente, de quasi esclavagisme qu’elle avait eue avec Lucas. Deviendrait-ils amis ?

Il visualisa mentalement son calendrier et lui dit fiévreusement :
« Fleur, je pars en Inde dans 12 jours. D’ici-là, je veux passer chaque minute avec vous. Enfin, se reprit-il aussitôt, je veux dire, chaque minute que vous voudrez bien m’accorder pendant votre retraite solitaire. »

Toute l’excitation de la nouveauté lui étreignit le cœur. Elle aurait voulu lui prendre les mains et lui répondre : « Oui, ne perdons pas un instant. » Mais la sensation qu'elle rendrait la situation plus mièvre encore l'arrêta, et elle lui dit d'un air espiègle et taquin : « Vous n'avez pas froid aux yeux monsieur l'ornithologue. Croyez-vous vraiment que j'en aie envie ? ». Elle lui lança un  clin d'oeil espiègle avant de tourner les talons.


PS : si vous avez raté les trois épisodes précédents, retrouvez-les ici : 1er épisode, 2ème épisode et 3ème épisode.  Vous comprendrez : tout est lié !

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12 commentaires:

  1. Toujours un drôle d'oiseau l'ornito. Pourtant la fleur au corps de receptacle ça donne des idées.

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  2. @ Wens : ah, non, hein ! Pas de pensées salaces sur ma Fleur !!!

    @Douceurlittéraire : merci :-) Javoue que j'ai du calmer mes ardeurs fleur bleue et raccourcir le texte initial, car j'ai été intarissable sur cette scène... En fait, pas évident de faire des suites à chaque fois !!

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  3. comme ta Fleur, je me laisse parfois emporter, puis mon démon intérieur vient tout gâcher ....

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  4. Douchka de chez Catbibi9 décembre 2011 à 01:25

    J'aime infiniment"des tulipes d’hiver naissaient pour écouter ces chants" c'est ravissant!! <3

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  5. Plein de romantisme et d'émotion... Ca fait du bien cette magie à l'approche des fêtes...

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  6. Un peu de douceur et de magie est bienvenue avant les fêtes. :-) J'ai passé un bon moment dans ces embruns romantiques, merci. :-)

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  7. Tu tiens là deux bons personnages ! :-)
    Mais mais mais, que fait Samuel chez toi ?! ^^

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  8. Hé ben! Il était temps de se débarrasser de ce macho de Lucas, apparemment !

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  9. La jolie Fleur s'épanouira t elle à côté de Pierre ?

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  10. @Lucie : oui, il nous faut combattre ces démons intérieurs, cette sorcière qui nous écrase!!!

    @Douchka : Merci beaucoup, je suis ravie que ça te plaise :) Un peu de douceur ne peut pas nous faire de mal! (Cf ton article d'aujourd'hui sur les contes!!)

    @Fleurdementhe : Merci! Oui, ça fait toujours du bien c'est sur!

    @Ceriat : "embruns romantiques" hum voilà qui me plait beaucoup, je note!!

    @Olivia : Samuel s'est maintenant évaporé, laissant sa place à Lucas!! Je vais essayer de creuser ces personnages, ils me plaisent bien!

    @Pierrot : tout à fait ! Mais, eux deux, ils vont en vivre des choses, et pas de tout repos ;-)

    @Valentyne : Je l'espère...

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  11. Et bien ça prend une tournure de nouvelle cette histoire ! J'aime beaucoup la tendresse, la douceur qui en émane... Continue !

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